
Le plaisir peut-il être souffrance ?
La vie, cette entité au multiple visage, à une fâcheuse tendance à mettre à rude épreuve les corps et les esprits. Au quotidien, dans le cours de son avancé inéluctable, nous subissons des agressions provenant aussi bien de l’extérieur, que de l’intérieur de nous-mêmes. Des agressions qui sont généralement les conditions particulières de l’existence que nous menons. Toutes ces agressions multiples sont pourvoyeuses de souffrance, qui viennent endurcir l’être, ou au contraire l’accabler. Cela signifie-t-il que la vie n’est que souffrance ? Difficile à dire tant cette notion de souffrance est subjective et varie d’une personne à une autre. Une chose est sûre, c’est que nous tentons d’éradiquer à tout prix la souffrance de nos vies en cherchant à obtenir du plaisir. Mais, ce plaisir auquel nous aspirons n’est-il pas vecteur de souffrance ?
À la recherche du plaisir perdu
Le plaisir, nécessaire pour tendre au bonheur et à la paix intérieure, est telle une relique précieuse. Nous cherchons par tous les moyens à l’obtenir, quitte à prendre tous les risques ! Nous avons besoin d’entamer cette quête pour rester à flot dans ce monde parfois rude avec les corps et les esprits. Pour éviter d’être accablé par la souffrance que provoque la vie dans le cours de notre existence, nous recherchons à tout prix à atteindre le plaisir pour jouir pleinement de cette dernière. L’obtention du plaisir est un moyen indéniable pour éviter que la souffrance perdure et qu’enfin le bonheur soi.
Cette souffrance, aux allures effrayantes, est synonyme de tensions physiques et psychiques. Elle tiraille les êtres de toute part, entraînant ceux qui n’y prennent pas garde dans le gouffre du désespoir. Elle survient dans nos vies quand nous n’arrivons pas à satisfaire un besoin, générant de ce fait de l’insatisfaction et du déplaisir. Dès lors, la souffrance s’immisce dans notre quotidien dès que le plaisir n’est plus. L’absence du plaisir étant alors la cause du désastre annoncé.
Point de plaisir sans souffrance
On veut le plaisir à tout prix, mais dès lors que ce dernier est atteint s’en suit inévitablement une phase de déplaisir. Ce déplaisir est le versant négatif du plaisir, résultat de l’insatisfaction de l’action menée. Il précède et succède toujours à l’apparition du plaisir. Il est la cause de la poussée d’un désir pour répondre à un besoin causé par le manque. Dans le même temps, il est la conséquence d’un plaisir inassouvi et d’un trop de plaisir assouvi. C’est donc de lui que part la volonté d’éprouver du plaisir, et c’est vers lui que tend la satisfaction occasionnée par le plaisir.
Quoiqu’il en soit, il est évident que la souffrance ne fait pas partie du but de chaque action menée (à moins que…?). Elle est ce point de repère opposé à la direction que nous désirons emprunter. Mais, sommes-nous sûres de vouloir éviter la souffrance ? Et si cette volonté d’atteindre le plaisir pour éviter la souffrance n’était qu’un moyen de faire perdurer la souffrance ? En ce sens, ne trouvons-nous pas un certain plaisir à souffrir ? N’y a-t-il pas une certaine forme de jouissance à vouloir côtoyer la souffrance et tout ce qu’elle entraîne ?
Nous pouvons envisager que le plaisir comme but recherché dans beaucoup d’actes du quotidien, et comme moyen d’éviter la souffrance, est un paradoxe. Il est le générateur à la fois du bonheur et de la souffrance. Par nos actions découlant de nos désirs, nous agissons donc pour atténuer la souffrance que nous alimentons constamment. L’image du serpent qui se mord la queue parle d’elle-même.
La souffrance émerge irrémédiablement de l’apparition de toute forme de déplaisir éprouvé !
Le désir, toujours le désir !
Nos désirs sont les précurseurs instinctifs qui tendent à faire taire la souffrance. Tout découle de nos désirs ! Nous sommes des êtres de désirs au sein d’un monde rempli d’entité désirable. Par nos désirs, nous cherchons à tendre au plaisir synonyme de satisfaction. Une satisfaction qui vient s’imposer comme l’apothéose de toute action menée au cours de notre existence.
Mais, ce désir que nous éprouvons de ne plus vouloir souffrir, peut occasionner à son tour de la souffrance. Il s’agit bien évidemment du désir exprimé comme lieu originel de la souffrance ! On désire parce qu’on souffre, et on désire pour ne plus souffrir. Deux types de désirs se démarquent de cette volonté de fuir la souffrance pour tendre au plaisir. Il s’agit des désirs en réponse à des besoins « nécessaires » d’une part, et « non-nécessaires » d’autre part.
Les premiers cherchent à répondre directement à des besoins qui sont nécessaires pour la survie de l’être (manger, boire, se reproduire, être en sécurité, etc.). En ce qui concerne les seconds, ils répondent à des besoins qui ne sont pas nécessaires pour la survie de l’être(ex : vouloir boire du soda quand on a soif, manger des bonbons quand on a faim). Le plaisir obtenu en réponse à des besoins « non-nécessaires » est pourvoyeur de peine et de souffrance ! Il entraîne l’être dans une phase de déplaisir intense plus rapidement que le simple fait de l’insatisfaction direct. Dès lors, la souffrance survenant comme expression du déplaisir dans l’après-coup de l’acte ayant entraîné le plaisir, n’est que plus forte ! En ce sens, la satisfaction d’un besoin « non-nécessaire » par l’expression d’un désir « non-essentiel », entraîne plus de déplaisir et donc plus de souffrance !
Exemple significatif
Prenons l’exemple du fait d’avoir soif ! Face à ce besoin primaire, nous exprimons le désir d’étancher cette soif. Or, l’objet sur lequel se porte le but d’étancher la soif devient déterminant dans la qualité du désir exprimé. Ainsi, boire une bouteille de soda, riche en sucre pour se désaltérer n’est pas nécessaire. En effet, de l’eau suffirait.
Après avoir bu le soda, qui est « non-essentiels » et « non-nécessaires », une forme de satisfaction à lieu, car le besoin a été assouvi. Cependant, par sa forte teneur en sucre qui est connu pour agir de manière néfaste sur l’organisme, l’ingestion du soda occasionne des désagréments après-coup, qu’il soit immédiat (mal au ventre, surexcitation) ou lointain (risque de prise de poids, diabète). Alors, ce qui était un plaisir immédiat devient très vite un déplaisir, et avec lui son lot de souffrance entraînant de nouveau l’investissement d’un nouveau besoin et l’expression d’un nouveau désir (toujours plus de sucre, mal-être lié à une prise de poids, etc.).
Il faut accepter la souffrance !
Dans la vie, on peut affirmer que le plaisir entraîne toujours de la souffrance ! C’est pourquoi il ne sert à rien de vouloir éviter la souffrance coûte que coûte ! La souffrance fait partie de la vie au même titre que le plaisir ! La souffrance est une construction du plaisir, tout comme le plaisir est une construction de la souffrance. Sans plaisir, pas de souffrance !
L’intensité de la souffrance ressentie dépend de l’intensité du plaisir obtenu. Trop de plaisir entraînera un trop-plein de souffrance ! C’est pourquoi, afin d’atténuer la peine occasionnée par celle-ci, il faut un plaisir modéré.
La souffrance ne peut être éradiquée totalement de la vie. Vouloir une vie sans souffrance, c’est refuser d’accepter la vie dans son entièreté. C’est la souffrance qui, par les désirs exprimés pour l’atténuer, nous fait avancer ! On pourrait aller jusqu’à dire que la souffrance est nécessaire pour celles et ceux qui veulent repousser les limites de la vie et exister pleinement. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il faille aller jusqu’à chercher la souffrance à tout prix. Il ne faut pas aller d’un extrême à un autre.
La souffrance est vitale, car c’est d’elle que nous vient l’expérience de la vie ! Pour preuve, on tend à se souvenir plus facilement de nos moments de souffrance que de nos moments de plaisir.
Ainsi, c’est en souffrant que nous apprenons ce qui est bon pour nous, de ce qui ne l’est pas.
Pour résister aux effets délétères de la souffrance, il faut commencer par apprendre à maîtriser son plaisir !
Ceux qui veulent apprendre doivent souffrir !
Frédéric, Des Racines à la Cimes
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